Dossier: Un mental fort

Vivre avec l’autisme: «Nous prenons tout au pied de la lettre»

Les personnes autistes ne voient pas, n’entendent pas et ne ressentent pas le monde comme les autres. Elles éprouvent souvent des difficultés à vivre en société. Que ressentent-elles et qu’est-ce qui facilite leur quotidien?

Texte: Katharina Rilling; Photo: Caleb Woods / Unsplash

Maintenant, c’est maintenant. Du moins, pour les personnes atteintes d’autisme. Pour toutes les autres personnes, «maintenant» peut signifier «bientôt» ou «un peu plus tard». La langue et les concepts peuvent être interprétés de différentes manières. C’est ce que Matthias Huber a dû apprendre: «Quand mes parents me disaient ‹On part!›, je me levais et je mettais ma veste. Je ne supportais pas de devoir attendre dix minutes avant de partir vraiment.»

Mimiques et gestuelle de la personne en face   ‒ un monde mystérieux?

Matthias Huber est atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme assez discrète. La parole fonctionne bien - contrairement à de nombreuses autres personnes atteintes de ce trouble du développement congénital et incurable. Matthias Huber éprouve cependant des difficultés pour communiquer: «Nous les autistes, nous prenons tout au pied de la lettre. Nous avons en outre beaucoup de mal à comprendre les mimiques et la gestuelle. La personne en face de moi veut-elle me dire encore quelque chose? Qu’est-ce qui est ironique et qu’est-ce qui est sérieux dans ce qu’elle dit? Ces interrogations me mettent dans un état de stress permanent.»

Les personnes autistes pèsent constamment leurs mots lors de leurs conversations avec les autres, ce qui les fait souvent paraître distraites, repliées sur elles-mêmes, voire peu aimables ou désintéressées. Cela complique considérablement le vivre ensemble. Autre point que les personnes non autistes ont du mal à comprendre: «Les changements de programme et les imprévus sont extrêmement désagréables. Une fois que quelque chose est convenu, pour une personne autiste, c'est gravé dans le marbre. Si nous nous retrouvons pour dîner dans un restaurant et que les autres préfèrent s'asseoir en terrasse pour profiter du beau temps, nous nous mettons dans tous nos états. Nous pouvons même protester bruyamment ou nous enfuir.»

«Des sons même légers peuvent faire l’effet de bris de verre dans notre conduit auditif. Certaines odeurs sont tellement insupportables qu’elles nous obligent à quitter la pièce.»
Matthias Huber, psychologue à la clinique universitaire de psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent de l’UPD Berne

Des perceptions très variées

Matthias Huber est devenu au fil des ans un spécialiste de son propre trouble du développement. Il est aujourd’hui psychologue à la clinique universitaire de psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent de l’UPD Berne et s’occupe d’enfants et d’adolescents atteints d’autisme. Il explique que le terme officiel aujourd’hui est «trouble du spectre autistique» (TSA), car la maladie peut prendre des formes très différentes. Chaque patient est différent.

Matthias Huber préfère parler de «personnes dotées d’une pensée et d’une perception autistiques». En effet, les personnes autistes ont un point commun: elles perçoivent le monde différemment des autres. «Des sons même légers peuvent faire l’effet de bris de verre dans notre conduit auditif. Certaines odeurs sont tellement insupportables qu’elles nous obligent à quitter la pièce. Avec certains éclairages artificiels, on a l’impression de regarder le soleil à l’œil nu. Et certaines surfaces sont tellement désagréables qu’il nous est impossible de les toucher.»

Faire les courses, aller au travail ou au cinéma ou prendre le tram – pour les personnes autistes, les situations du quotidien génèrent un stress permanent. Tout cela est si épuisant que la mémoire des personnes concernées en souffre, dit Matthias Huber, se référant à une étude qui montre que les performances cérébrales des personnes autistes - contrairement à celles des personnes non autistes - s'améliorent soudainement avec l'âge. Cela pourrait s’expliquer par la disparition de l’énorme stress du quotidien après la retraite. Les personnes atteintes de troubles du spectre autistique pourraient alors, en effet, vivre en fonction de leurs besoins: par exemple, prendre le tram et faire leurs courses en dehors des heures d’affluence.  

Conseils de l’expert en séries

A-Typical
Sam Gardner, un teenager du Connecticut, a une petite amie. Après l’école, il travaille avec son meilleur ami dans un magasin d’électronique. Cela semble normal – Sauf que Sam est atteint de troubles du spectre autistique, et qu’il doit grandir avec. «J'apprécie particulièrement que l’on ne parle pas que du jeune autiste, mais de tout son environnement, de sa vie quotidienne, de sa famille et de ses amis» raconte Matthias Huber. «Car c’est cela la vie.» À voir sur Netflix.

L’amour dans le spectre
La recherche de l’amour est un défi pour tout le monde, et plus particulièrement pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique. «Je trouve que ce documentaire est bien fait et utile. On voit comment de vraies personnes autistes sont soutenues par leur famille et des professionnels dans leur recherche de partenaire», confie Matthias Huber. «Les personnes autistes ont des difficultés dans les interactions sociales, mais elles ont aussi un besoin de proximité émotionnelle et physique et veulent avoir des relations.» Netflix vient de lancer la deuxième saison. 

Pourquoi l’autisme se développe-t-il?

Les causes des troubles du spectre autistique ne sont pas encore totalement connues. Une chose est sûre : l'autisme ne résulte pas d'erreurs parentales ou de conflits familiaux. Les facteurs biologiques, par contre, semblent jouer un rôle important. Selon le site «Neurologen und Psychiater im Netz», la présence d’un trouble du spectre autistique chez l’un des parents augmente considérablement le risque d’autisme pour l’enfant. Dans l'ensemble, on suppose également que le cerveau des enfants atteints de troubles du spectre autistique ne se développe pas de la même manière que celui des enfants en bonne santé, même avant la naissance. Le développement de la maladie semble favorisé par l’âge élevé des parents, et par certains facteurs de risque pendant la grossesse, par exemple les infections virales graves au cours du premier trimestre de grossesse et les infections bactériennes graves au cours du deuxième trimestre.

Le saviez-vous?

Le terme «autisme» vient du grec «autos», qui signifie «soi-même». Il a été utilisé pour la première fois en 1943 pour décrire des enfants présentant un trouble profond du développement.

L’autisme peut passer inaperçu 

1 à 2 pour cent des personnes sont autistes – beaucoup plus que ce que l’on a longtemps supposé. Dans le passé, les formes discrètes n'étaient tout simplement pas reconnues comme de l’autisme. Surtout chez les filles: «L’autisme touche plus souvent les garçons que les filles. Mais la différence est moins importante que l’on pensait. Chez les filles, le trouble du développement n'était tout simplement pas diagnostiqué aussi rapidement parce qu'elles étaient plus facilement perçues comme perfectionnistes, assidues ou timides», explique le psychologue.

Aujourd’hui, on en sait plus sur ce trouble du comportement, et on y est plus sensibilisé. On pose des questions plus spécifiques et on observe les mimiques, la gestuelle et le langage dans les interactions et la communication. Cependant, certaines personnes atteintes de troubles du spectre autistique passent encore inaperçues parce qu'elles compensent et camouflent leurs déficiences au prix de grands efforts. «Il n’est pas rare que ces personnes soient épuisées en permanence, incapables de faire autre chose que travailler. Les adultes souffrent alors de crises de colère, de dépressions, de troubles anxieux ou sont suicidaires. Beaucoup d’entre eux perdent leur emploi.» 

Il est d’autant plus important que les personnes concernées puissent bénéficier d’un soutien le plus tôt possible. «L’approche TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children) est une bonne méthode pour rendre l’environnement plus compréhensible et prévisible», explique Matthias Huber. Il s'agit d'une méthode d’éducation reconnue au niveau international pour les personnes atteintes d'autisme et de difficultés de communication similaires. Le principe repose sur la structuration du quotidien avec des repères temporels et visuels, qui aident les personnes concernées à s’orienter. Les activités telles que s’habiller, se laver les dents ou ranger son pupitre sont visualisées avec des pictogrammes qui facilitent l’apprentissage et la prise d’autonomie de l’enfant autiste. 

Voir l’autre facette de l’autisme

On ne parle souvent que des problèmes auxquels sont confrontées au quotidien les personnes autistes. Mais elles ont aussi des points forts et sont supérieures aux autres à bien des égards: les personnes concernées sont souvent honnêtes et directes, elles perçoivent les détails de manière très précise et s'y intéressent. Selon l’association «autismus deutsche schweiz ads», elles voient d'abord les choses et les situations sous leurs caractéristiques individuelles avant de les appréhender dans leur ensemble. L’avantage? Elles identifient très rapidement les erreurs et travaillent de manière très précise et perfectionniste. Elles sont souvent surdouées et très créatives.

Les personnes autistes peuvent s'occuper pendant de longues heures avec quelque chose sans s'ennuyer. Elles ont un intérêt particulièrement prononcé pour les domaines spécialisés. On le sait grâce au cinéma: les autistes apprennent tout par cœur. Par exemple, les numéros de toutes les cabines téléphoniques d’un pays, les noms de tous les arrêts de bus ou les horaires complets des trains. «Une telle spécialisation les rassure. Elle leur permet, d’une certaine manière, de contrôler leur environnement. Elles se sentent moins à la merci des autres», explique Matthias Huber, qui le sait par sa propre expérience. Il s'est lui-même plongé dans le monde des dinosaures, des cartes du monde et de la répartition des matières premières, s'est intéressé aux courbes de température et a passé des heures à lire la signification des mots dans les dictionnaires. Il est également fasciné par les détecteurs de fumée, l'astrophysique et la taille des personnes. Et bien sûr: par tout ce qui concerne l'autisme.

On a longtemps essayé de supprimer ces obsessions chez les enfants autistes par des thérapies. Autrefois, on disait : «Tu ne dois pas toujours parler de la même chose!» Aujourd'hui, on s’empare positivement de son centre d’intérêt pour tenter d’ouvrir la personne au monde. Il est également intéressant de constater qu'une prise de conscience est en train de s'opérer: «Chaque être humain naît avec sa propre perception. Mais on peut aussi penser différemment aux choses, ressentir différemment.» Cela remet en question les théories classiques. Matthias Huber nous explique: «On s’interroge: Que faudrait-il pour que tout le monde se sente mieux?» On trouve ainsi de plus en plus d’offres telles que des séances de cinéma pour autistes. Le plus important, c’est cette prise de conscience, pour tout le monde: «Chacun de nous est unique et a le droit d’avoir sa propre perception.»

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