Aux sources de l’énergie tibétaine

Retirés dans la vallée de la Töss depuis plus de cinquante ans, des moines forment le cœur spirituel de la communauté tibétaine de Suisse. Un reportage à la recherche de l’équilibre des énergies.

Texte: Branders, Illustration: Andreas Samuelsson

La situation devient problématique lorsqu’un déséquilibre s’opère dans le monde extérieur. L’inquiétude se lit sur le visage du moine: «Le dérèglement des éléments, par exemple le changement climatique, dont les conséquences sont déjà palpables, a un impact énorme sur notre énergie.»  

La preuve est sous nos yeux: ici aussi, les premières primevères fleurissent déjà deux semaines après l’Épiphanie, en plein hiver. «Car les éléments ont toujours un rapport avec les humains; personne ne fonctionne sans système extérieur», précise-t-il. Au plus profond de nous-mêmes, nous retrouvons ces cinq éléments: «Nous les portons en nous. Ils nous accompagnent durant toute notre vie. Mais nous devons veiller à ce qu’ils forment un équilibre et puissent circuler pour que nous puissions rester en bonne santé. Les éléments représentent également nos qualités. Il est donc indispensable d’en prendre soin et de les renforcer.» Il suffit qu’ils soient perturbés ou prennent une mauvaise direction pour que nous soyons stressés. Nos pensées s’agitent, comme la flamme des bougies qui se consument derrière nous. Quant à connaître l’élément qui se manifeste en premier – l’agitation ou la pensée – le moine affirme: «Le dérèglement énergétique est le premier élément de la chaîne. Il est provoqué par notre comportement et entraîne une spirale de pensées qui mène à l’insomnie. Par la suite, des troubles physiques apparaissent et interagissent avec l’agitation psychique.» En principe, la plupart des personnes qui veillent à leur santé savent comment réagir: avoir une alimentation équilibrée, se reposer beaucoup, être en phase avec soi-même sur le plan spirituel, faire le bien autour de soi, méditer et pratiquer le yoga. Mais si les pensées deviennent incontrôlables, tout cela ne sert à rien. «Si je pense que quelqu’un est mauvais, je remarque instantanément que c’est faux d’avoir de genre de pensées. Que c’est une erreur. Car les pensées négatives entraînent dans leur sillage des actions négatives. Il m’appartient donc de veiller à ce que les pensées négatives n’entraînent pas d’actions négatives». Il étouffe ainsi la haine dans l’œuf.  

Une leçon de vie: gérer ses émotions au lieu de les subir
Cette leçon ne s’applique pas seulement aux moines tibétains, mais aussi à tout le monde au quotidien: il faut essayer de gérer ses émotions au lieu de les subir et de céder aveuglément à chaque impulsion, sans réfléchir à ses propres actions. Pour cela, nul besoin d’être dans un monastère zen ni de méditer en permanence dans un silence absolu. Il suffit de s’entraîner lorsque l’on fait la queue à la caisse du supermarché après avoir quitté le travail ou dans un train bondé. Acharya Pema Wangyal recommande d’adopter différentes perspectives pour faire naître un sentiment de compassion à l’égard d’une personne. Pour enraciner ce sentiment, il allume par exemple un bâtonnet d’encens. Car l’encens, en plus de dégager un parfum, est un véritable remède: «Nous inhalons les herbes qui brûlent pour nous purifier. Les bâtonnets d’encens sont des purificateurs d’énergie.» Il est également possible de faire des offrandes et des petites cérémonies. Les fleurs, symboles de patience, permettent de souhaiter la bienvenue à une personne. Elles rappellent qu’il faut faire preuve d’humilité et éviter de se mettre en colère. La lumière des lampes est synonyme d’illumination, l’eau parfumée purifie les pièces dans lesquelles on se trouve, tandis que les fruits sont là pour manifester notre générosité. Vient enfin la musique: au monastère, le son des cloches et celui de tout autre instrument peuvent faire office d’offrande.

«Le pèlerinage au mont Kailash ou sur une autre montagne sacrée est spécifique à la religion tibétaine», assure Wangyal, le regard brillant. Et d’ajouter: «La montagne dégage une énergie particulière, qui est parfaite pour méditer et recharger ses batteries. Pour atteindre l’illumination, les moines doivent monter là-haut, car c’est un endroit qui dégage une énergie particulière, extrêmement puissante.» Il faut au moins une fois dans sa vie gravir une montagne sacrée pour planer au-dessus du monde, entouré de l’énergie – claire et pure – de la nature. Ces dernières années, Acharya Pema Wangyal a dû renoncer à son voyage en raison de la pandémie. Mais il entend bien le faire un jour ou l’autre. «L’année du cheval, qui se répète tous les douze ans, serait parfaite. Elle reviendra en 2026.»  

En attendant, la vie au monastère suit son cours avec les prières du matin, seul ou en groupe: «La matinée est marquée par l’énergie bienveillante de la déesse Tara.» Viennent ensuite le petit-déjeuner, composé de confiture et de pain, les marches dans la nature, la méditation, le repas de midi avec une soupe de  lentilles agrémentée d’épices fortes et de lait de coco ou des spaghettis, tout simplement, l’étude dans le monastère et le travail de direction de conscience au sein de la communauté tibétaine. «Si quelqu’un est gravement malade, nous prions pour lui, l’accompagnons jusqu’à son dernier souffle et sonnons les cloches.» Car les moines sont présents pour leur communauté tout au long de la vie. Ils fêtent aussi le changement d’année, à l’exemple du «Losar», le Nouvel An tibétain célébré en février. Ils peuvent également organiser une cérémonie pour une occasion particulière, lors de laquelle ils brûlent des offrandes qui s’élèvent ensuite dans le ciel.  

«Le soir, les prières changent. Elles sont plus exacerbées», poursuit le moine. La nuit correspond à l’heure des dieux malveillants, qui deviennent de plus en plus puissants jusqu’à minuit. «C’est pour cette raison que nous dormons mieux lorsque la lumière du jour disparaît», dit-il en souriant. En outre, mieux vaut éviter la forêt ou les cimetières à ces heures-là.» La quantité de bile augmente dans notre organisme, les mucosités s’accumulent et on dort profondément. Jusqu’à l’aube, lorsque l’énergie du vent permet au corps de retrouver sa vigueur. «De nombreuses personnes ont aujourd’hui modifié ce rythme. Elles restent éveillées jusque tard dans la nuit, ce qui est nuisible, tant physiquement que mentalement». Si l’on ne dort pas suffisamment, on passe à côté des heures productives de la matinée. Ce manque de sommeil est bel et bien une réalité, tout comme l’énergie extérieure qui est perturbée par la main de l’homme et la pollution de l’environnement.  

Heureusement, il fait encore jour après notre entretien et les dieux sont encore bienveillants. Nous empruntons les sentiers sinueux, passons une allée de feuillus et parvenons à un stulpa blanc à la pointe dorée, qui représente le mont Meru, montagne sacrée considérée comme l’axe du monde et séjour des dieux. L’air hivernal forme une fine vapeur devant le visage du moine, à 800 mètres d’altitude. Nous ne sommes pas sur le toit du monde, mais la vue sur les Alpes enneigées est magnifique.