Lorsque l’horloge interne est défaillante

Pour de nombreuses personnes, le laboratoire du sommeil est le dernier espoir dans la lutte pour un meilleur repos. Mais comment vient-il en aide?

Texte: Lukas Rüttimann Photos: Nico Schaerer

La chambre à coucher fait davantage penser à un hôtel de classe moyenne qu’à un établissement high-tech. Au rez-de-chaussée du laboratoire du sommeil de Fluntern, à Zurich, les murs sont couverts de tableaux et d’attrape-rêves. Il y règne une atmosphère chaleureuse; le bois domine plutôt que la technologie. C’est ici que dorment ceux qui viennent faire évaluer leur sommeil.

Les préparatifs pour l’analyse du sommeil ont lieu dans la pièce voisine. Ici, les spécialistes du sommeil placent de petites électrodes à différents endroits du corps de leurs patients et patientes: à la tête, les sondes mesurent les ondes cérébrales, aux coins des yeux, le mouvement des yeux, au menton et aux bas des jambes, l’activité musculaire, aux côtes, l’effort respiratoire et au thorax, l’activité cardiaque. Des microphones et des caméras infrarouges sont suspendus au-dessus de la personne endormie pour une surveillance supplémentaire. À côté, une boîte sans ornement descend du plafond et enregistre les données nécessaires à une «polysomnographie» et les envoie à l’ordinateur du médecin. Les personnes, munies de plusieurs câbles, se couchent dans cette pièce et y restent jusqu’à ce qu’elles se réveillent d’elles-mêmes le lendemain matin.

Dernière escale: le laboratoire du sommeil
Dans les lits du laboratoire du sommeil de Fluntern, le neurologue Christian Neumann a déjà aidé de nombreuses personnes à trouver un repos de meilleure qualité. Le directeur du laboratoire évoque le cas d’un jeune homme qui n’arrivait pas à se réveiller le matin, au point de finir dans un hôpital psychiatrique. Personne ne pouvait l’aider. En plus de la surveillance nocturne, le médecin a mesuré l’activité physique de son patient 24 heures sur 24 à l’aide d’un capteur placé au poignet. De tels outils sont de plus en plus utilisés pour lutter contre les problèmes de sommeil. Les enregistrements fournissent des informations sur les habitudes de sommeil. «Chez nous, il s’agit avant tout de reconnaître des schémas», explique le médecin. Dans de nombreux cas, les données donnent une image tellement différente de ce que les patients et patientes perçoivent.

Le médecin vient en aide aux personnes qui dorment mal. Elles souffrent d’insomnies, d’apnée du sommeil, de troubles du rythme circadien, de narcolepsie ou du syndrome des jambes sans repos. La plupart du temps, ses patients et patientes ont connu un long parcours avant de venir au laboratoire. «Cela peut arriver à tout le monde de passer une mauvaise nuit, sou- ligne le médecin, mais il y a un risque lorsque les troubles du sommeil deviennent fréquents.» Ces dernières années, ils ont énormément augmenté. La pression de la société, axée de plus en plus sur les performances, se fait ressentir. Par ailleurs, la pandémie a exacerbé les peurs, les dépressions et les inquiétudes des gens. Pratiquement toutes les formes de troubles du sommeil ont fortement augmenté au cours des dernières années et des derniers mois.

Le neurologue Christian Neumann dirige le laboratoire du sommeil de Fluntern à Zurich. Il a été en quelque sorte le dernier espoir d’un jeune homme qui, des années durant, n’arrivait pas à se réveiller le matin, ce qui lui a valu un séjour en hôpital psychiatrique. En dernier recours, il s’est finalement tourné vers le laboratoire du sommeil de Christian Neumann. Le spécialiste a commencé par analyser le sommeil et l’activité physique du jeune homme, 24 heures sur 24. Sur la base de ces résultats, il a constaté que l’horloge interne de son patient était complètement décalée. Ce n’est pas un cas isolé, affirme l’expert. La lumière du jour et une dose supplémentaire de mélatonine, l’hormone du sommeil, l’ont remis sur pied. Aujourd’hui, il gère parfaitement sa vie et dort bien.

Nous aspirons tous à vouloir bien ou mieux dormir. L’ennemi numéro 1, c’est le stress. Quand il s’agit de sommeil, la pression sous toutes ses formes n’est jamais bien loin. C’est pourquoi une thérapie cognitivo-comportementale peut être pour beaucoup la solution, assure Christian Neumann. Également psychiatre, il prend le temps nécessaire pour discuter avec ses patients. «Nous souhaitons appréhender les patients de manière globale, car la recherche sur le sommeil ne se limite pas uniquement à l’aspect neurologique.»

La recherche sur le sommeil est un excellent exemple d’approche interdisciplinaire. Gènes, alimentation, activité physique, travail ou environnement social: nos nuits dépendent directement de tous les aspects, ou presque, de notre vie. C’est pour cela qu’à Zurich Fluntern, des neurologues, psychiatres et pneumologues travaillent main dans la main.

Comment prendre le sommeil en main
À la maison aussi, nous pouvons trouver des outils pour améliorer notre sommeil: chez de nombreuses personnes, on observe une volonté de devenir un modèle de perfection. Ce qui explique que les montres connectées portées pendant la nuit fournissent aujourd’hui des résultats presque aussi fiables que les appareils médicaux. Porter un bracelet connecté peut être utile pour contrôler ponctuellement son sommeil, affirme le neurologue.

En revanche, il déconseille d’analyser ses nuits en permanence, car «l’optimisation croissante de soi-même est souvent la première cause des troubles du sommeil». La perception subjective de ce qui nous gêne a fortement augmenté, explique Christian Neumann. Cela devient un cercle vicieux pour beaucoup: «Nous voulons mieux dormir, mais si nous en faisons une obsession, nous dormons automatiquement moins bien.»

Bercement, thérapie par les sons, coussin d’exercice: la recherche ne dort pas
Face au nombre croissant de personnes qui dorment mal, les chercheurs tentent de trouver de nouvelles voies. La Suisse est connue dans le monde entier pour ses recherches sur le sommeil, explique Esther Werth, somnologue à la clinique de neurologie et directrice du laboratoire du sommeil de l’hôpital universitaire de Zurich. À l’EPF, les chercheurs se penchent sur les bercements qui favorisent le plus le sommeil. Pour cela, ils font appel à des volontaires en bonne santé qui doivent dormir sur une couchette oscillant dans tous les sens. Les données récoltées sont précieuses pour l’étude. Des oreillers à technologie intégrée analysent les bruits de la respiration ou les ronflements et «placent» le dormeur dans une autre position en fonction des besoins.

La recherche tente également d’améliorer la qualité du sommeil, explique la somnologue. Une expérience nommée «Sleep Loop» est en cours pour renforcer le sommeil profond et le rendre encore plus réparateur. Pour cela, des sons sont diffusés à des moments précis, correspondant exactement aux bonnes ondes de sommeil profond des sujets. «Autrefois, une telle expérience n’aurait pas été possible, car la technologie n’était tout simplement pas encore au rendez-vous, explique Esther Werth. Mais aujourd’hui, nous avons les moyens de plonger dans les mystères du sommeil et d’acquérir de nouvelles connaissances.»