Comment la médecine personnalisée cible l’individu

La médecine personnalisée a un grand avenir devant elle. Qui peut déjà en bénéficier aujourd’hui? Et qu’entend-on exactement par médecine personnalisée?

Texte: Stefan Schweiger; photo: Sanitas

En quoi consiste la médecine personnalisée?

Chaque personne est unique. Un même diagnostic chez deux personnes différentes ne signifie pas pour autant que la maladie évoluera de la même manière chez ces deux individus. Une personne peut très bien répondre à un médicament, tandis qu’une autre subira des effets secondaires insupportables. Pourquoi? En appliquant une approche centrée sur un patient «moyen» dans les grands essais cliniques, la médecine a sans aucun doute fait d’énormes progrès. Mais les thérapies clé en main, du type «taille unique», restent encore trop souvent sans effet pour nombre de personnes concernées, pouvant même entraîner des souffrances inutiles.

La médecine personnalisée ne se base pas sur une approche «try and error»; elle tente de faire des prédictions aussi personnalisées que possible pour le traitement approprié, sur la base de données médicales. Elle analyse pour cela l’état de santé, l’âge, le sexe ainsi que le profil génétique de l’individu, une évidence quand on sait que la structure ADN de deux personnes diffère tout de même d’environ six millions de paires de bases. Les influences environnementales qui nous façonnent au cours d’une vie sont aussi prises en compte.

... et en quoi ne consiste-t-elle pas?

Une médecine axée sur l’individu – cela semble empathique et personnel. Mais la caractéristique de la médecine personnalisée est d’abord technique: sans données appropriées – dont elle a besoin en très grand nombre – pas de traitement ciblé ni de diagnostic précis. Bien sûr, la médecine a toujours été un peu personnalisée: une retraitée de 75 ans qui se casse le bras reçoit, et a toujours reçu, un traitement différent d’une sportive de haut niveau de 25 ans.

L’objectif de la médecine personnalisée n’est pas de proposer une thérapie sur mesure pour chacun d’entre nous, mais plutôt de distinguer autant que possible les sous-groupes de patients jusqu’à atteindre un niveau de traitement sans effets secondaires pour chaque individu.

Cette approche est également appelée «médecine de précision» ou «médecine individualisée». On parle de «santé personnalisée», en revanche, dans un contexte préventif, avant que la maladie ne se déclare, en prenant des mesures individuelles précoces, pour agir en amont.

Le saviez-vous?

  • 42% des nouveaux médicaments approuvés aux États-Unis en 2018 étaient des thérapies personnalisées (source: FDA).
  • Ce n’est que depuis mai 2021 que le génome humain a été entièrement décrypté.
  • S’agissant du patrimoine génétique, les êtres humains sont identiques à 99,9%. C’est le 0,1% restant qui fait toute la différence.

Les biomarqueurs, chevaux de bataille de l’innovation

Les biomarqueurs, comme les empreintes digitales, identifient chaque personne comme étant un être unique: que ce soient les données enregistrées par la smartwatch, la tension artérielle, le taux de glycémie, les analyses génétiques sophistiquées ou autres résultats. Au total, il est possible de rassembler une quantité énorme de biomarqueurs, c’est-à-dire de caractéristiques biologiques, concernant chaque individu.

Il s’agit ensuite d’utiliser ces chiffres numériques à bon escient – par exemple pour prédire la probabilité de développer une certaine maladie ou pour bénéficier d’une thérapie ciblée. Sans supercalculateurs, les chances de maîtriser ce flux de données seraient faibles.

Des algorithmes sophistiqués et l’intelligence artificielle aident à identifier des modèles là où des points communs n’auraient pas été détectés auparavant. Les données de santé sont utiles – tant qu’elles ne sont pas collectées uniquement pour le plaisir d’alimenter le «big data» et qu’elles sont protégées contre les abus.

Le droit de ne pas savoir

Imaginez que vous vous rendiez à un examen de routine et que vous appreniez, grâce aux méthodes de dépistage modernes, que vous avez une anomalie génétique susceptible de déclencher une maladie héréditaire très rare, mais grave. Vous pouvez aussi bien ne jamais tomber malade. Les résultats des tests génétiques ne sont souvent pas tranchés, mais laissent une part d’incertitude.

Cette imprévisibilité peut être très pesante sur le plan psychique: comment réagiriez-vous si votre examen révélait que vous portez la même mutation sur le gène «BRCA1» que l’actrice Angelina Jolie? Une mutation qui augmente considérablement le risque de cancer du sein. Faut-il, comme Angelina Jolie, se faire amputer des deux seins à titre préventif? Personne ne doit être laissé seul face à une telle décision.

C’est pourquoi, dans le monde médical, les analyses génétiques sont toujours encadrées par un médecin. Ce qui ne vaut pas forcément pour le test génétique commandé en ligne. Chaque génome peut contenir des constellations a priori inquiétantes. Malgré les progrès de la médecine, nous avons, néanmoins, le droit de ne pas savoir.

Qui profite aujourd’hui déjà de la médecine personnalisée? L’exemple des traitements du cancer

Pouvoir baser sa décision sur des données solides et moins sur son intuition facilite le travail des médecins. En oncologie, la médecine personnalisée a d’ores et déjà permis d’améliorer les traitements: les tumeurs se forment à la suite de modifications dans les cellules, appelées mutations. Mais tous les cancers ne se ressemblent pas.

Le tissu tumoral de deux personnes atteintes de la même maladie ne comporte pas automatiquement les mêmes mutations. Par exemple, les patientes atteintes d’un cancer du sein sur les cellules duquel le facteur de croissance «HER2» est présent de manière excessive peuvent bénéficier d’un traitement qui cible précisément ce facteur. Si ce n’est pas le cas, ce traitement ne sera pas adapté à la patiente. Il faut alors trouver une autre solution.

En cas de cancer du côlon avancé, certains anticorps ne seront efficaces que si le gène «KRAS» n’a pas encore muté. Des approches similaires de médecine de précision sont déjà utilisées aujourd’hui dans le traitement du VIH, contre la maladie d’Alzheimer et de Parkinson ou après une transplantation d’organe.

Facteur de coûts ou arme miracle?

Ce n’est pas un secret, les thérapies personnalisées coûtent cher. L’objectif est malgré tout qu’elles deviennent un jour «rentables», en permettant d’éviter d’emblée des thérapies inutiles qui n’apporteront pas l’effet escompté.

Il n’est guère possible de savoir si investir dans la médecine personnalisée aujourd’hui permettra de réduire les coûts du système de santé à l’avenir. Le coût des tests génétiques est, en ce sens, encourageant: hier encore hors de prix, on en trouve aujourd’hui pour moins de 100 francs en ligne. La médecine personnalisée semblerait donc tenir sa promesse – même si elle ne le pourra pas dans tous les domaines. 

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